M. Itsuo Tsuda était un curieux homme et un homme curieux. Japonais installé en France, pratiquant de Seitai et d’Aikido…Plusieurs dôjô se réclament aujourd’hui de sa filiation. Pour moi qui ne l’ai pas connu, les 9 tomes de son ‘Ecole de la Respiration’ sont une grande source d’inspiration et témoignent de son esprit de recherche… esprit infatigable qui devrait nous habiter, nous, praticiens de Shiatsu.

Ainsi nous parle-t-il de deux types de pratique des arts martiaux évoqués par Maître Ueshiba lui-même  : le ‘haku no budô’ et le ‘kon no budô’.

Haku et Kon, nous connaissons ces mots, car nous utilisons les termes japonais pour décrire notre pratique de Shiatsu. En Chinois, c’est Po et Hun. Dans toutes les langues, il s’agit de ce que l’on désigne sous le nom d’’entités psychologiques’ ou d’esprits liés aux organes. Haku, c’est l’esprit du Poumon et Kon, c’est l’esprit du Foie.

Esprits, entités, âmes… toutes ces traductions sont erronées, mais on voit l’idée : on monte en vibration dans les aspects immatériels.

Et ce que cela vient faire dans une pratique d’arts martiaux, voire de Shiatsu ?

Haku et Kon sont sur un bateau…

Haku 魄, appelé aussi ‘âme corporelle’, est ce qui nous donne forme humaine. Haku réside dans les os et y demeure même après la mort. C’est le mouvement descendant, Yin, propre au poumon, la densification, la matière… elle assure l’unité de l’être physique.

Kon 魂, appelé aussi ‘âme éthérée’, est l’essence de l’individu, son unité d’être, ce qui l’élève et connecte aux aspects immatériels, spirituels.

Ces deux âmes forment qui nous sommes. A la mort, elles se séparent, Kon suit le mouvement ascendant et rejoint le Ciel, Haku rentre sous terre.

Pas question de rejeter l’une ou l’autre. Pour vivre bien, il faut l’équilibre entre ces deux mouvements, ascendant et descendant. Si Kon est trop fort, l’individu flotte, plane, n’a pas les pieds sur terre, n’est pas connecté à son corps. Exaltation.  Si Haku est trop fort, l’individu est matérialiste, terre à terre… Dépression.

L’Homme entre Ciel et Terre peut être capable à la fois de contacter les aspects éthérés et matériels de la manifestation.

 

Maître Ueshiba disait donc qu’il y a des pratiquants de ‘haku no budô’ : les arts martiaux sont utilisés pour satisfaire des désirs physiques : il y a démonstration de force, escalade des moyens, techniques efficaces, utilisation de la force physique, voire d’armes sophistiquées. Et il y a des pratiquants de ‘kon no budô’ : la pratique est plus spirituelle, elle implique un supplément d’âme.

M. Tsuda nous dit que Maître Ueshiba voulait développer l’épanouissement de l’âme kon à travers notre corps. Haku no Budô ne vise qu’à anéantir les adversaires, Kon no budô nous libère de nos hantises matérielles et établit l’harmonie avec nos semblables. 

Vu la parenté claire du Shiatsu avec les arts martiaux, il me semble dès lors que nous pouvons également être en présence de deux types de Shiatsu, que ce soit en séance individuelle ou dans la transmission au sein d’une école.

Haku no Shiatsu :

J’exhibe une technique
Je sais ce qui est bon pour mon receveur
J’ai un plan préconçu
Je me place en position supérieure
Je dis ce qu’il faut faire
Je me juge, je m’observe
Obligation de résultats
Je suis dans ma tête et je tombe
Quand on me dit que je suis formidable, je fais preuve d’une fausse modestie

Kon no Shiatsu

Je pose les mains et leur fais confiance
J’écoute
Je suis dans le ressenti
J’accompagne mon receveur
J’accepte de changer d’idée en cours de séance
Je m’émerveille de ce qui se passe
J’observe ce qui est là
Obligation de moyens
Je suis dans mon hara et je m’élève
Quand on me dit que je suis bon, je réponds que le Shiatsu est formidable

Et vous, êtes-vous plutôt ‘haku’ ou ‘kon’ dans votre Shiatsu ?

 

Mauvaise question qui jette de l’huile sur le feu. Ce serait plutôt quand êtes-vous plutôt ‘haku’ ou ‘kon’ et l’êtes-vous au bon moment ? 

Le danger, comme partout ailleurs, réside dans le déséquilibre et l’exclusive. Il faut passer par la matière pour toucher l’esprit, c’est même la base de notre art. Il faut descendre pour monter. Et si on figure les deux âmes sur l’axe horizontal des Mouvements, on peut les voir comme les deux plateaux d’une balance, en équilibre, mais non pas immobiles. Quand c’est figé, le Ki est bloqué.

L’esprit ‘haku’ en Shiatsu vient me parler au niveau de la technique, du toucher… il est très concret, très présent, ancrant.  L’esprit ‘Kon’ en Shiatsu vient me montrer l’élévation atteinte à partir de là et m’ouvre les niveaux les plus subtils du Ki. 

On pourrait dire aussi que haku, c’est la simple technique et que kon, c’est l’attitude. Et donc que faire la technique avec kon est trop léger et qu’avoir une attitude haku est lourd.

Si corps-esprit forme bien une entité indissoluble, les mouvements qui l’habitent doivent être à leur place et en équilibre.

De cette manière, nous dit M. Tsuda : Conformément à la providence naturelle, et grâce à la gravitation exercée par l’alliance de l’âme et du corps, du kon et du haku, on absorbe dans le ventre tous les êtres, et on procède à la grande pratique de purification selon son propre désir. Voilà le vrai sens de l’aikido.

Et j’ajouterais, du Shiatsu.

Et, en fait, de la Vie.